Genre et Gender : usages et enjeux de l’emploi de durus chez les élégiaques

DOI : 10.54563/eugesta.989

Résumé

Durus est l’adjectif associé au nom de Gallus, directement par Quintilien et indirectement par Ovide, dans les deux jugements qu’ils portent sur lui. Mon hypothèse est que ce choix dénote l’importance de cet adjectif dans le traitement gallien de l’élégie, ce que peuvent confirmer les deux emplois de durus dans le passage de la Bucolique 10 où Virgile donne la parole à Gallus. Durus y qualifie d’une part Mars dans le contexte de combats, d’autre part Lycoris, alors inconstante en amour. L’idée que durus ait eu une valeur générique peut apparaître paradoxale, l’opposition mollis/durus étant utilisée précisément pour opposer l’élégie à l’épopée sur le plan de la thématique (amour versus guerre), de la métrique et de la stylistique. En fait le relevé des multiples occurrences de durus révèle que les élégiaques l’utilisent tous, en l’associant soit à la puella (à cause de son insensibilité ou de son inconstance), soit au genre de vie qu’elle impose alors à son amant, et qui, du fait qu’il l’endure, le contraint à se montrer lui aussi durus (capable de le supporter). Mais ce dernier doit être en même temps mollis : user de prières et de blanditiae pour faire changer la femme aimée de comportement, autrement dit, pour la mollire. Je défends l’hypothèse que l’usage de l’adjectif durus a joué un rôle essentiel dans la mise en place d’une conception nouvelle des rapports de sexe dans la relation amoureuse, caractérisée par l’échange et donc le partage de qualités, traditionnellement associées l’une à la femme, la mollitia, l’autre à l’homme, la duritia. Le passage de la métaphore gallienne du « dur » seruitium amoris (opposé, dans les Amores, aux « dures » campagnes militaires, synonymes d’épreuves et de dangers mais aussi de succès et de trophées) à la métaphore de la militia amoris, développée par Properce et Ovide, s’explique par le réinvestissement dans le genre de vie de l’amant des qualités et valeurs associées au genre de vie du soldat : endurance, hardiesse et victoire finale.

Plan

Texte

Dans « Intersections of Gender and Genre : Sexualizing the Puella in Roman comedy, lyric and elegy »1, publié dans ce même numéro, J. Hallett avance l’hypothèse que le mot puella a été retenu par les élégiaques à la fois pour des raisons métriques2 et à cause de son emploi par Catulle, et qu’il a acquis des significations spécifiques en relation avec la façon dont ils ont décrit leurs amours. Puella désigne « a woman whom they depict not only as sexually mature and sexually active, but also as emotionally and erotically valued by themselves in their literary roles as poet-speakers, and as bestowing her erotic favors out of wedlock and apparently free of charge »3. Il en a résulté, selon elle, que « during Augustus’ principate, the noun puella came to be associated with women, both elite and non-elite, whose sexual conduct transgressed the marriage and moral laws enacted by Augustus around the time Horace’s Carmen Saeculare was written, in 18 through 17 BCE »4. Dans la continuité de ces propositions, je voudrais développer une hypothèse sur la façon dont ce nom a été redéfini par les élégiaques pour s’appliquer à la partenaire féminine de nouveaux rapports de sexe. Les relations entre le poète et sa puella n’étant pas, dans la représentation qui en est donnée, de celles qui ont une existence sociale, comme c’est le cas pour le mariage ou la prostitution, ces relations ont été, me semble-t-il, construites, non seulement à travers une série de situations fictives, qui constituent le fond thématique de l’élégie, mais aussi à travers l’usage d’adjectifs, d’adverbes, de noms et de verbes. Je prendrai dans l’étude qui suit l’exemple de durus, un adjectif appliqué à la fois à la puella et au uir.

Pourquoi durus ? Parce c’est l’adjectif utilisé dans les deux jugements littéraires que nous avons gardés sur la poésie de Gallus, le fondateur du genre élégiaque. Écarté, comme à l’évidence impropre, au vers 765 des Remèdes à l’amour : Quis poterit lecto durus discedere Gallo ? (« Qui pourra sortir, insensible, d’une lecture de Gallus ? »), ce qui qualifie implicitement comme approprié son opposé, mollis, le terme durus est intensifié par un comparatif dans l’Institution oratoire : Elegia quoque Graecos provocamus, cuius mihi tersus atque elegans maxime videtur auctor Tibullus. Sunt qui Propertium malint. Ovidius utroque lasciuior, sicut durior Gallus (« Nous défions aussi les Grecs dans le domaine de l’élégie, c’est, me semble-t-il, Tibulle qui est l’auteur le plus raffiné et élégant. Il y en a qui préfèrent Properce. Ovide est plus lascif que les deux premiers, Gallus plus dur », 10, 1, 93). L’adjectif accolé à Ovide est formé sur lasciuia. Or lasciuia est un terme revendiqué par ce dernier comme caractéristique de son ars, dans un passage fameux des Remèdes à l’amour, où il se défend contre l’accusation d’immoralité qui sera plus tard un des motifs officiels de son exil5. Le fait que lasciuior renvoie à une thématique importante chez Ovide me semble autoriser l’hypothèse qu’il en est de même pour durior chez Gallus. S’il est probable que Quintilien prenne durus uniquement dans un sens stylistique, on peut supposer qu’il a choisi, plus ou moins consciemment, cet adjectif pour la même raison que lasciuus : l’importance de son emploi dans l’œuvre du poète qu’il qualifie6. Je propose donc de considérer que durus est sélectionné à la fois par Ovide et par Quintilien parce que cet adjectif renvoie à une thématique suffisamment forte chez Gallus pour apparaître comme emblématique de son traitement de l’élégie.

Un appui à cette hypothèse peut être trouvé dans le passage de la Bucolique 10 où Virgile donne la parole à Gallus. La situation d’énonciation choisie implique en effet qu’il ait inséré, dans les paroles attribuées à son ami, non seulement des allusions à des motifs galliens, mais aussi des citations des Amores 7. Il est tentant de supposer que durus, utilisé ici deux fois, relève de la seconde catégorie. L’adjectif qualifie d’abord Mars dans deux vers où le poète se décrit en train de combattre :

Nunc insanus amor duri me Martis in armis
tela inter media atque aduersos detinet hostis
.

À présent l’amour insensé pour le dur Mars me tient sous les armes, au milieu des traits et face aux ennemis (44-45).

Si l’on considère le nom de Mars comme métaphorique du combat, durus a ici le sens de « dur à supporter » en raison de ses fatigues et dangers. L’adjectif est ensuite utilisé pour caractériser l’amante de Gallus, partie loin de Rome rejoindre un autre homme en train de participer à une campagne militaire, comme l’ont appris au lecteur les vers 22-23 (... « tua cura Lycoris/ perque niues alium perque horrida castra secuta est », « … l’objet de tes soins, Lycoris, en a suivi un autre à travers les neiges et les camps horribles ») :

Tu procul a patria (nec sit mihi credere tantum)
Alpinas, a dura, niues et frigora Rheni
me sine sola uides. A, te ne frigora laedant !
A, tibi ne teneras glacies secet aspera plantas !

Toi loin de la patrie (je voudrais n’avoir pas à croire une telle nouvelle) tu vois, seule, sans moi, ah ! (combien tu es) dure !, les neiges des Alpes et les frimas du Rhin. Ah ! Puissent les frimas ne pas te porter atteinte ! Ah ! Puissent les aspérités de la glace ne pas couper tes pieds délicats ! (46-49).

La signification de l’adjectif ici n’est pas la même que pour Mars : dura signifie « dure » au sens d’« insensible », « qui se refuse à l’amour » (du poète), puisque Lycoris a suivi un autre homme. Il est peu probable que cet emploi répété de durus, appliqué d’une part à un uir en contexte guerrier, d’autre part à une puella en contexte amoureux, mais dans des circonstances où elle est infidèle, soit accidentel. Vu le contexte énonciatif, on peut supposer que durus est, dans ces deux acceptions, un mot du vocabulaire gallien8, quoique cela puisse sembler surprenant, si l’on pense à la dimension générique traditionnellement associée à l’opposition mollis/
durus 9, que les poètes romains utilisent pour caractériser l’élégie par rapport à l’épopée, en relation avec le choix de deux thématiques considérées comme antagonistes, l’amour dans l’élégie, la guerre dans l’épopée.

Je vais, dans cet article, essayer de reconstituer d’abord l’usage de l’adjectif durus chez Gallus en proposant des hypothèses sur les enjeux de ce qui me semble avoir été un terme-clef dès les débuts du genre élégiaque, puis l’évolution de cet usage et de ses enjeux chez les successeurs de Gallus dans le contexte de l’opposition, présente dès les Amores, me semble-t-il, entre élégie et épopée, thématiquement liées, l’une à l’amour, l’autre à la guerre. En inventant un nouveau genre littéraire, l’élégie érotique, auquel il associe un nouveau genre de vie conçu comme une alternative à celui du miles, attendu de tout citoyen dans l’idéologie romaine, Gallus ouvrait la voie à une « révision » de cette dernière. La pièce-maîtresse en a été une conception nouvelle des rapports entre homme et femme, en même temps que du masculin et du féminin, qui a suscité des réactions en chaîne. Mon étude sur les emplois de durus chez les élégiaques inclura donc la façon dont ceux-ci ont, en poursuivant dans la voie inaugurée par l’auteur des Amores, participé à la remise en question du mos maiorum qui fait le fond de la crise de la culture romaine au Ier siècle av. J.-C.10.

1. Durus en contexte amoureux

Le relevé des emplois de durus en contexte amoureux révèle que les poètes élégiaques recourent à cet adjectif quand ils évoquent, généralement en les déplorant, soit les refus de la puella, soit le mode de vie qui en résulte pour son amant.

1.1. Tibulle

Tibulle utilise durus à propos d’une puella anonyme, d’une façon générique donc, en 1, 8, 50 : in ueteres esto dura, puella, senes 11, et d’une façon spécifique, pour qualifier Némésis, en 2, 6, 28 : ei mihi, ne uincas, dura puella, deam 12(il s’agit de l’Espérance). L’adjectif est adjoint à ferro aux vers 63-64 de l’élégie proémiale du livre I, où le poète imagine la réaction de Délie à sa mort : flebis : non tua sunt duro praecordia ferro/ uincta 13… Ce passage confirme ce qui ressort des exemples précédents : l’adjectif durus, appliqué à la puella, est globalement pris dans le sens d’« insensible, qui se refuse à l’amour ». L’autre poète masculin du cercle de Messala, Lygdamus a un emploi similaire à propos du cœur des puellae dans son élégie 4 : Uincuntur molli pectora dura prece 14(76).

Tibulle applique durus, par métonymie, à la porte qui empêche l’amant de rejoindre sa belle, quand elle se refuse à lui, en 1, 1, 56 (et sedeo duras ianitor ante fores)15, en 1, 2, 6 (clauditur et dura ianua firma sera)16, en 1, 8, 76 (quaecumque opposita est ianua dura sera)17 et au seuil, sur lequel il est condamné à rester, en 2, 6, 47-48 (saepe, ego cum dominae dulces a limine duro/ agnosco uoces, haec negat esse domi)18. Que l’adjectif dura soit utilisé pour caractériser la puella et la porte dans les mêmes élégies n’est évidemment pas un hasard. Le paraclausithuron est la situation emblématique du genre élégiaque, la « dureté » physique de la porte étant symbolique de la « dureté » du caractère (l’insensibilité) ou du comportement (l’inconstance) de la femme aimée.

Durus est également utilisé par Tibulle pour qualifier le genre de vie imposé à l’amant, ce que Gallus a appelé le seruitium amoris 19. On le trouve dans l’élégie 1, 4 à propos des labores que l’amant doit subir s’il veut séduire un puer (Nec te paeniteat duros subiisse labores20, 47) et dans l’élégie 1, 6 à propos des règles de comportement éditées par la puella : et mihi sunt durae leges21…, 69). L’adjectif signifie, dans les deux citations, « dur », « pénible à supporter », le paradoxe étant que ces contraintes qui font obstacle au désir sont aussi le seul moyen d’arriver au succès en amour, obtenu seulement si l’amant sait faire preuve d’endurance.

1.2. Properce

Chez Properce la répartition des emplois de durus est la même. Dura au sens d’« insensible, qui se refuse à l’amour », est associée à la puella au livre 1 en 1, 10 (saeuitiam durae contudit Iasidos)22, en 7, 6 (atque aliquid duram quaerimus in dominam)23 et en 17, 16 (quamuis dura, tamen rara puella fuit)24. Dans l’élégie 1, dura qualifie l’héroïne gallienne Atalante dans un passage de 7 vers inspiré par les Amores. Dans les deux autres élégies, l’adjectif, appliqué à Cynthie, sert de caractérisation générique. Le vers 16 de l’élégie 17 est particulièrement significatif de ce point de vue. Dura renvoie au genre élégiaque tel que l’a pratiqué pour la première fois Gallus : Cynthie est, comme Atalante, dura. Rara, introduite par un tamen, qui signale une différence, valorise la puella de l’auteur (qu’il identifie dans d’autres passages avec son premier recueil de poésies), le tout revenant pour Properce à revendiquer une originalité dans son propre traitement de l’élégie par rapport à Gallus. Au livre 2, durus est utilisé en 1, 78 à propos de la puella dans l’épitaphe du poète, où Cynthie incarne le destin de ce dernier « huic misero fatum dura puella fuit »25 et en 5, 7 à propos de son comportement à son égard (duris ... moribus)26. L’adjectif est explicitement lié au refus de la puella en 2, 22a, 11 : quae si forte aliquid uultu mihi dura negaret 27et en 2, 22 b, 43 : aut si es dura, nega ; siue es non dura, uenito 28 ! En 24c, 47-48, dura est glosée par l’inconstance et l’infidélité : dura est quae multis simulatum fingit amorem/ et se plus uni si qua parare potest 29. En 4, 2, 23 dura est employée dans une formule négative pour qualifier une fille qui ne se refuse pas : Indue me Cois, fiam non dura puella30.

Comme Tibulle, Properce applique l’adjectif à la porte en 1, 16, 17-18 : ianua uel domina penitus crudelior ipsa,/ quid mihi tam duris clausa taces foribus31 ? La dureté physique de celle-ci est l’équivalent tangible de celle, métaphorique, de la puella, dont il dit : sit licet et ferro durior et chalybe 32(30). Que les deux poètes utilisent durus en compagnie de ferrum laisse par ailleurs supposer une source commune, ce qui nous renvoie à Gallus.

Comme Tibulle aussi, Properce associe durus au genre de vie qui découle de la duritia de la puella. Le trait majeur en est la séparation de sa bien-aimée. C’est une autre raison pour laquelle la porte est l’élément matériel le plus souvent caractérisé par l’adjectif durus. On trouve durus associé également au navire qui emporte Cynthie loin de Properce en 1, 8, 6 (dura naue), au repos dans les lieux déserts où l’amant vient crier, seul, son désespoir en 1, 18, 28 (dura quies), à la peur que Cynthie ne vienne pas à ses funérailles en 1, 19, 4 (hic timor est ipsis durior exsequiis)33, aux monts déserts où Hercule cherche en vain Hylas, le puer aimé, qui a disparu en 1, 20, 13 (duros montes). Durus est aussi employé dans des expressions plus générales (je reviendrai sur certaines d’entre elles) en 1, 6, 36 (uiuere me duro sidere certus eris)34, en 1, 7, 8 (cogor et aetatis tempora dura queri)35, en 1, 15, 1 (Saepe ego multa tuae levitatis dura timebam)36, en 2, 17, 9 (durius in terris nihil est quod uiuat amante)37 et en 2, 34, 49 (nec tu tam duros per te patieris amores)38.

1.3. Ovide

Ovide a la même pratique de l’adjectif durus, ce qui confirme sa valeur de marqueur générique. Dans les Amours, 1, 11, où le poète demande à Napé, la coiffeuse de Corinne de remettre une lettre à sa maîtresse, durus est un des adjectifs utilisés pour opposer les caractères de la puella et de sa servante. Comme chez Tibulle et Properce, le mot qualifie un ferrum, que la servante n’a pas, elle, dans le cœur : nec silicum uenae nec durum in pectore ferrum/… tibi ... adest 39(9-10). L’adjectif se rencontre en compagnie du mot limen en 1, 9, 19 à propos de la puella : … hic durae limen amicae/ obsidet 40… Dans les deux derniers exemples, Ovide joue, comme ses prédécesseurs, sur le sens physique et le sens métaphorique de durus.

Il utilise l’adjectif pour caractériser le genre de vie élégiaque (« dur », « pénible à supporter », et donc « réclamant de l’endurance »), en associant durus, comme le fait Properce, à divers éléments matérialisant la séparation : les couvertures du lit où il dort solitaire (dura ... strata, 1, 2, 1-2), la chaîne du portier, le seuil, le bois de la porte en 1, 6 (dura ... catena, 1 ; roboribus duris, 28 ; durae ... catenae, 47 ; o foribus durior ipse tuis, 62 ; dura super tota limina nocte, 68 ; dura ... ligna, 74), la porte de nouveau en 2, 1, 22 (mollierunt duras lenia uerba fores41 et en 3, 1, 53 (Vel quotiens foribus duris incisa pependi)42. Dans ce texte où Ovide confronte deux genres : la tragédie et l’élégie, c’est le paraclausithuron qui définit cette dernière, ce qui confirme l’importance de durus dans le glossaire élégiaque. Dans les Remèdes à l’amour, durus est également utilisé, à deux reprises, à propos de la porte close : Nec dic blanditias nec fac conuicia posti/ nec latus in duro limine pone tuum 43(507-508) ; … nunc tibi riualis nunc durum limen amanti/… subeant 44… (677-678).

Que conclure de cette enquête chez les trois élégiaques majeurs sinon que durus est un adjectif générique pour l’élégie ? Cela peut sembler paradoxal, non seulement parce que mollis, molliter, mollire, mollities sont des termes importants du glossaire élégiaque de l’amour45, mais aussi, comme je l’ai rappelé, du fait que les poètes se servent de ces termes pour caractériser l’élégie par rapport à l’épopée ou à la tragédie46. Je ne citerai que deux exemples de ces connexions, mais qui sont suffisamment parlants. Du premier il ressort que mollis est l’inverse de durus, au sens de « sensible » (versus « insensible ») en amour : Quaeris, Demophoon, cur sim tam mollis in omnis ? / Quod quaeris, « quare » non habet ullus amor (« tu me demandes, Démophoon, pourquoi je suis si tendre/sensible à l’égard de toutes ? À ta question, l’amour ne connaît pas de ‘parce que’ », Properce, 2, 22, 13-14). Le second met en évidence l’association de mollis au genre dont la thématique majeure est l’amour : Quaeritis, unde mihi totiens scribantur amores,/ unde meus veniat mollis in ora liber (« Vous me demandez d’où vient que j’écris tant de fois sur mes amours, d’où me vient aux lèvres un livre tendre » ; Properce, 2, 1, 1-2)47. En fait, que l’opposition mollis/durus soit pertinente dans le cadre d’une confrontation entre les genres, n’implique pas qu’on doive y réduire l’emploi des termes mollis et durus dans l’élégie. Si dans une épopée, un (vrai) homme ne peut être qualifié que de durus 48et jamais de mollis, l’inverse n’est pas vrai pour l’amant élégiaque, qui peut – et même doit – être tantôt mollis, tantôt durus, voire en même temps49. En tant que poète par exemple, l’amant doit savoir être mollis : user d’une rhétorique douce et caressante, pour triompher de la duritia de sa maîtresse ou de sa porte. Ce n’est pas un hasard si, dans les Amours 3, 1, où elle cherche à se faire préférer à la Tragédie, l’Élégie se présente comme un genre permettant le succès en amour en prenant l’exemple de la porte qu’elle réussit à faire ouvrir par ses blanditiae (haec est blanditiis ianua laxa meis 50, 48). Toutefois la « dure » portée fermée symbolisant la duritia du genre de vie élégiaque, l’amant doit, face à elle, savoir aussi être durus : se montrer « endurant » en supportant toutes les épreuves imposées par sa maîtresse, autre condition nécessaire à sa victoire finale. L’élégie n’est donc pas, comme on pourrait le croire si on la compare à l’épopée, tout entière du côté de la mollitia. Dans la mesure où le comportement de la puella et par voie de conséquence le genre de vie qui en résulte pour son amant se caractérisent par de la duritia, c’est un jeu complexe que le poète élégiaque doit être capable de mener entre mollitia et duritia, comme nous allons en avoir la confirmation en poursuivant notre enquête sur l’emploi de durus chez les élégiaques.

1.4. Gallus

Il est probable que ces utilisations de durus remontent à Gallus, non seulement parce que les trois élégiaques majeurs les ont en commun51, mais aussi en raison de l’exemplum le plus fameux des Amores : le seruitium amoris de Milanion, qui se fit le serviteur de la chasseresse Atalante. Comme l’a souligné F. Cairns52, l’association (que l’on trouve dans l’élégie 1, 1 de Properce) de l’adjectif dura à Atalante laisse supposer que Gallus jouait sur l’étymologie grecque de ce nom, qui fait dériver Atalanta d’un ἀ à valeur d’intensification, ajouté au verbe τλάω. Pour F. Cairns, qui reprend une hypothèse de D. Ross53, le nom d’Atalante est à interpréter comme une référence à sa « hardihood », autrement dit, à sa capacité à « supporter », à « souffrir ». Il correspondrait aux qualités attendues dans le genre de vie qu’elle a choisi : à la nécessité d’être courageuse et d’endurer les labores qu’impliquent la poursuite des animaux sauvages, les dangers de leur affrontement et une vie « à la dure » dans les bois. L’adjectif dura, que Properce associe à Atalante dans un passage-hommage à Gallus, qui, en tant que tel, est un collage de mots galliens, serait donc à prendre comme un adjectif de nature qui glose le nom de la puella, et est symbolique de son caractère et de son mode de vie. Ce n’est, je crois, que secondairement, en raison de ce qu’implique du point de vue amoureux, et en particulier pour Milanion, ce genre de vie, qu’ici dura peut signifier aussi « insensible », « qui se refuse à l’amour ».

Si on considère dans le détail l’évocation de l’exemplum gallien faite par Properce, la stratégie choisie par Milanion pour venir à bout de la saeuitia (« cruauté », 10) de la « dure Atalante » a consisté à se faire son alter ego en se montrant à la fois « hardi » et capable de « tout endurer » durant ses chasses en divers lieux rudes et sauvages :

Milanion nullos fugiendo, Tulle, labores
    saeuitiam durae contudit Iasidos.
Nam modo Partheniis amens errabat in antris
    ibat et hirsutas ille uidere feras ;
ille etiam Hylaei percussus uulnere rami
    saucius Arcadiis rupibus ingemuit.
Ergo uelocem potuit domuisse puellam
    tantum in amore preces et benefacta ualent.

Milanion, en ne fuyant, Tullus, aucune épreuve, a brisé la cruauté de la dure fille d’Iasos. En effet tantôt il errait, hors de lui, dans les vallons du Parthénius et il allait chercher les bêtes sauvages au poil hérissé. Même une fois, atteint par un coup de la massue d’Hylaeus, il gémit, blessé, sur les roches de l’Arcadie. C’est ainsi qu’il put dompter la rapide jeune fille, tant les prières et les bonnes actions ont de la valeur en amour (1, 1, 9-15).

Ce seruitium amoris a réussi non seulement, comme le souligne Properce en conclusion, parce que l’amant a multiplié les preces et les benefacta, mais aussi parce qu’au cours des chasses et au fil des épreuves, Milanion s’est montré digne de sa dura puella en lui prouvant qu’il pouvait lui aussi être durus. Si l’on considère que durus est un adjectif habituellement associé aux hommes et à leurs activités guerrières, c’est assez inattendu. Toutefois, Atalante n’est pas n’importe quelle puella : elle fait partie de ces jeunes filles déviantes, qui se refusent à l’amour et au mariage, auxquels elles préfèrent une activité comme la chasse, tenue pour « masculine », dans la mesure où dans le monde réel elle est pratiquée par des hommes54. Il en résulte que Milanion doit être à la fois durus au sens d’« endurant » (c’est ce dont témoignent ses « bienfaits », mot qui glose les divers services rendus au cours de la chasse au prix de fatigues et d’épreuves) et mollis dans la mesure où il choisit d’user, pour faire changer l’attitude d’Atalante face à l’amour, non de violences, mais de « prières ». La situation élégiaque implique ainsi un jeu subtil entre mollitia et duritia, sur lequel je vais revenir, le but de l’homme étant de faire basculer la puella du côté de la mollitia, pour être enfin ce à quoi il aspire : un amant au plein sens du terme55.

Dans la Bucolique 10, Virgile applique l’adjectif dura à Lycoris – dont Atalante est l’équivalent mythique – dans un contexte qui implique aussi de la hardiesse et de l’endurance. Les lieux que Lycoris préfère à Rome sont lointains, (procul a patria, 46), rudes (perque niues ... perque horrida castra…, 23 ; Alpinas, a dura, niues et frigora Rheni, 46), dangereux (A, te ne frigora laedant !/ a tibi ne teneras glacies secet aspera plantas, 48-49) bref, littéralement « durs » : pénibles et difficiles à supporter. Il n’est pas indifférent que ce paysage soit associé à dans les vers 22-23, à la fois à la poursuite de la compagnie d’un amant et à la guerre, ce qui laisse supposer que cet homme ne répond pas au désir de Lycoris et que la « dureté » de la nature est aussi à prendre métaphoriquement : comme une figuration de cette situation opposée à l’amour. Cela fait de la puella de Gallus l’équivalent féminin ... de Milanion, qui est dans la même situation par rapport à Atalante sauf qu’il s’agit de chasses et non de guerre. Cependant il est vraisemblable, en raison du me sine, que, dans le cas de Lycoris et à l’inverse d’Atalante, dura soit à comprendre principalement par rapport à Gallus et signifie, comme je l’ai indiqué plus haut, « dure », « insensible », « qui se refuse désormais ». C’est le seul exemple que nous ayons où dura qualifie une puella dans un contexte de souffrances endurées aux côtés d’un amant et/ou pour le séduire. Aussi j’avancerai l’hypothèse d’une variation ingénieuse de Virgile sur la thématique gallienne, et je mettrai cette variation en relation avec une idée qu’il développera au livre 3 des Géorgiques : l’amour est le même pour tous (amor omnibus idem, 244). Dans ce passage où la passion chez les hommes est illustrée par le durus amor 56de Léandre pour Héro, très probablement un exemple gallien57 (258-263), Virgile, qui en tant qu’épicurien a une vision négative du furor, inspirée par les analyses de Lucrèce, évoque en effet, pour ce qui est des animaux, à côté d’exemples pris chez les mâles : ours, sangliers, chevaux, lynx, loups, chiens, cerfs, plusieurs cas de femelles : la lionne, la tigresse et les cavales, qui franchissent montagnes et fleuves, emportées, elles aussi, par leurs folles ardeurs58. C’est à cette idée qu’il n’y a pas de différenciation entre mâles et femelles sous l’emprise de l’amour, le désir se traduisant dans le second cas par une poursuite effrénée de son objet, que je suggère de rattacher l’inversion de la situation élégiaque à laquelle Virgile procède dans la Bucolique 10.

1.5. Etre durus mais ... convertir l’autre à la mollitia ?

Dans les vers de l’élégie 1, 1 de Properce cités plus haut, on trouve le verbe ingemuit : Milanion supporte, mais en se plaignant, et en suppliant (preces). J’ai conclu mon analyse par la double nécessité pour l’amant d’être durus et mollis en même temps. Ce sont également les deux idées-forces des quatre vers où Properce décrit le mode de vie de l’amant élégiaque dans l’élégie 1, 7 :

nos, ut consuemus, nostros agitamus amores,
    atque aliquid duram quaerimus in dominam ;
nec tantum ingenio quantum seruire dolori
    cogor et aetatis tempora dura queri.
Hic mihi conteritur uitae modus, haec mea fama est,
    hinc cupio nomen carminis ire mei.
Me laudent doctae solum placuisse puellae
    Pontice, et injustas saepe tulisse minas.

Mais, moi, comme d’habitude, je suis préoccupé par mes amours et je cherche quelque chose à l’adresse de ma dure maîtresse ; je suis forcé de servir non pas tant mon talent que ma douleur et de me plaindre de la dureté de cette époque de ma vie. Tel est le genre de vie où je me consume, telle est ma réputation, c’est de là que viendra, je le souhaite, le renom de mon poème. Qu’on me loue d’être le seul avoir plu à une savante jeune femme, Ponticus, et d’avoir souvent supporté d’injustes menaces (5-12).

La dura domina impose des dura tempora qui font souffrir l’amant, et il vit cette période comme un esclavage. Le poète considère que la réponse appropriée est de « supporter » la situation tout en se plaignant, les vers qu’il écrit correspondant à la deuxième partie de ce programme. S’il se fait donc durus dans les faits dans la mesure où il endure les minas et les dura tempora, en paroles il gémit et se plaint ... pour attendrir la puella, et la rendre moins dura 59. Il s’agit de mollire Cynthie, en étant soi-même mollis, ce qui est une façon assez paradoxale d’être durus. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle est très différente de la façon dont le soldat ou le héros épique manifestent leurs qualités d’endurance. L’amant « supporte » la situation qui résulte de la duritia de sa puella, laquelle se traduit par des refus ou par des épreuves, tout en essayant de convertir la récalcitrante à la mollitia, car l’ambiance de l’amour est faite de mollitia. C’est ce qu’exprime très exactement aussi cette définition attribuée par Lygdamus à Apollon :

Nescis quid sit amor, iuuenis, si ferre recusas
    immitem dominam coniugiumque ferum.
Ergo ne dubita blandas adhibere querellas :
    uincuntur molli pectora dura prece 60.

Tu ne sais pas ce qu’est l’amour, jeune homme, si tu refuses de supporter une maîtresse sans douceur et une union cruelle. N’hésite donc pas à employer des plaintes caressantes : les cœurs durs sont vaincus par une tendre prière (3, 4, 73-77).

La situation entre homme et femme, mise en scène par Gallus et reprise par les élégiaques, implique clairement un renversement de la répartition attendue sur le plan des sexes entre duritia et mollitia. Si dans la poésie élégiaque, l’adjectif mollis est fréquemment associé à certaines parties du corps féminin : sinus 61, capilli 62, pectora 63, bracchia 64, à la démarche65 de la puella ou à sa façon d’être allongée66, dans des cas où elle est vue comme une amante ou une séductrice67, c’est la duritia qui, dans la relation amoureuse, caractérise les femmes avant que leurs amants ne les aient amenées, par une stratégie basée à la fois sur la duritia et sur la mollitia, à un comportement plus adéquat avec leur nature physique68.

2. Durus en contexte guerrier

Depuis les origines de la cité, l’activité attendue du uir est la militia (« la campagne militaire »). Dans l’usage de la langue et dans l’étymologie, qui est une des expressions de l’idéologie, durus est rattaché à militia. Comme le signale F. Cairns dans l’article qu’il a consacré à militia dans l’élégie romaine69, deux textes nous ont transmis cette étymologie en l’explicitant de façons différentes. Le premier passage qu’il cite est tiré du Digeste : miles autem appellatur ue1 a militia, id est duritia, quam pro nobis sustinent, aut a multitudine aut a malo quod arcere milites solent, aut a numero mille hominum (« le nom du soldat dérive ou de militia (‘ campagne militaire ’) : à cause de la duritia (‘vie dure’) qu’ils supportent pour notre bénéfice, ou de multitudo (‘multitude’), ou de malum (‘mal’), que les soldats ont coutume d’écarter, ou du nombre de mille hommes », Digest 29.1.l, Ulpien 45 ad Edictum). L’autre extrait est de Paulus Festus, qui renvoie à un Aelius, à identifier soit avec L. Aelius Stilo (154-190 av. J.-C.) soit avec C. Aelius Gallus, qui aurait vécu à l’époque républicaine : militem Aelius a mollitia κατ’ ἀντίφρασιν dictum putat eo quod nihil molle sed potius asperum quid gerat. (« Aelius pense que miles dérive de mollitia (‘mollesse’) par antiphrase parce que il n’y a rien de mollis (‘doux’) qu’il ne fasse, tout étant plutôt pénible », Paulus Festus 109, Lindsay = 122, Müller). Dans les deux textes sont pointées la dureté et la rudesse du genre de vie que la militia entraîne.

2.1. L’insanus amor duri ... Martis

J’en reviens à Gallus, qui était à la fois soldat et poète, et aux vers de la Bucolique 10, où durus est accolé à Mars avec le sens de « dur à supporter ». Ce passage révèle l’expérimentation d’un autre genre de vie que celui de l’amant : celui lié à une militia : Nunc insanus amor duri me Martis in armis/ tela inter media atque aduersos detinet hostis (44-45). Comment interpréter l’adjectif insanus ? Il condamne l’amour de Mars (autrement dit des combats) alors préféré par (ou imposé à) Gallus, sans doute parce que cet amor implique la séparation d’avec sa maîtresse (l’autre groupe de vers, consacré à Lycoris, soulignant que l’infidélité de la puella a le même effet : me sine sola ..., 48), mais peut-être aussi à cause du risque de mort suggéré dans le vers suivant70. Quant au durus accolé à Martis, il est glosé par la situation évoquée dans ce même vers : le soldat est exposé à diverses épreuves, dont les traits des ennemis qu’il doit affronter.

Un autre texte qui a, je crois, puisé à la même source que Virgile, permet de comprendre plus clairement le sens que Gallus donnait à ce durus. Il s’agit d’un passage du Catalepton 9 qui comporte plusieurs mots en commun avec la Bucolique 1071. Le Catalepton 9, dû à un auteur resté inconnu de nous, est un texte écrit à la gloire de Messala, dont la carrière militaire fut couronnée par un triomphe en 27 av. J.-C. Si l’on prend en compte les deux contextes : chez Virgile des paroles attribuées à Gallus ; dans le Catalepton 9, l’éloge d’un de ses contemporains, Messala, qui fut, comme lui, général et poète, la probabilité que les mots communs aux deux textes proviennent des Amores est assez forte. La raison en est, selon moi, que l’auteur du Catalepton 9 trouve ingénieux d’utiliser à la fois Virgile et son modèle dans un contexte qui lui paraît pouvoir s’y prêter : l’évocation d’un des deux genres de vie qui a rendu Messala célèbre, l’autre période de sa vie étant, comme pour Gallus, placée sous le signe de la poésie et de l’amour. La liste des termes communs est suffisamment longue pour exclure tout hasard. On trouve dans le Catalepton 9 : durae (42), tam procul ... tam procul (44), patria (44), pati (45), frigora (45), calores (45), dura (46), aduerso (47), hiemem (48), hostes (49) et une allusion aux Africains (51). Et chez Virgile : duri (44), aduersos (45), hostis (45), procul a patria (46), dura (47), frigora (47, 48), pati (53), labores (64), frigoribus (65), niues (66), hiemis (66), et une allusion aux Éthiopiens (68). Dans le Catalepton 9, durus est utilisé pour caractériser la militia :

nam quid ego inmensi memorem studia ista laboris,
    horrida 72quid durae tempora militiae ?

Car, pour ma part, que rapporter de son zèle dans cette épreuve/tâche immense, et de la période terrible de sa dure campagne militaire ? (41-42).

Ces vers sont glosés par une évocation de cette militia, d’où il ressort que Messala a eu à affronter non seulement les ennemis, mais des lieux et des climats rudes et/ou dangereux. Il a dû dormir à même les rochers, vaincre les périls de la mer, supporter des froids et chauds excessifs73. Cette prise en compte de circonstances de la militia autres que le corps à corps avec les ennemis (49) est conforme à l’idéologie de la discipline romaine. Celle-ci implique en effet la capacité à supporter toutes sortes de contraintes, qui relèvent de l’endurance et de l’obéissance, valorisées en tant que compléments nécessaires à la hardiesse au combat. Il n’y a pas lieu de s’étonner que l’aptitude à « endurer », y compris en bravant les intempéries, soit louée à ce degré-là chez un général : ce fut un des traits de César les plus célébrés. C’est un aspect de la militia qui confirme la pertinence de l’usage de l’adjectif durus à propos du seruitium amoris, qui requiert également obéissance et endurance.

2.2. Du choix du dur seruitium amoris au lieu de la militia

Il semble que le motif de la militia comme genre de vie préférable à celui de l’amant élégiaque (en raison de ses implications et retombées politiques : la participation à l’accomplissement du destin historique de Rome), mais non préféré par lui, ait été présent dans les Amores. C’est ce qui ressort de l’épigramme b du papyrus de Qaṣr Ibrîm, où Gallus attribue ce choix à César, en l’opposant à son propre choix du genre de vie amoureux, connoté négativement dans la mesure où il lui associe un destin malheureux :

Fata mihi, Caesar, tum erunt mea dulcia, quom tu
    maxima Romanae pars eri(s) historiae
postque tuum reditum multorum templa deorum
    fixa legam spoleis deivitiora tueis.

Les destins alors, César, me seront doux quand tu seras la part la plus grande de l’histoire romaine et que je lirai qu’après ton retour les temples de nombreux dieux se sont enrichis parce que tes trophées y auront été accrochés.

Si le verbe legam a ici le sens de « lire » et non celui, proposé par certains critiques, de « passer en revue par le regard »74, il est tentant de supposer que le mot historiae 75a été choisi parce qu’il peut évoquer, vu le contexte : l’éloge de César, la prose historique ou l’épopée à partir de leur matière : la célébration du destin de Rome à travers les victoires militaires de ses généraux76. Et tentant aussi de conclure à l’existence d’une seconde opposition dans cette strophe, parallèle à celle, explicite, entre le choix (de vie) de l’amour et celui de la guerre. Gallus mettrait ici en regard de sa propre pratique de l’élégie, liée à sa préférence pour l’amour, malgré ses souffrances, la prose ou l’épopée historique, qui célèbrent les guerres, leurs généraux et le destin de Rome. On aurait là l’amorce d’une opposition qui sera reprise et développée par tous ses successeurs, un autre argument étant que maxima Romanae pars eri(s) historiae est un des vers de Gallus les plus fameux, si l’on en juge par le nombre de ses variations chez les élégiaques77.

On retrouve la même opposition entre vie amoureuse malheureuse et militia – ce qui est évidemment un signe de son importance sur le plan générique – dans l’élégie proémiale de Tibulle, où le genre de vie du soldat est présenté comme le choix du patron du poète, Messala :

Te bellare decet terra, Messala, marique
    ut domus hostiles praeferat exuuias :
me retinent uinctum formosae uincla puellae
    et sedeo duras ianitor ante fores.

Il te convient de faire la guerre, Messala, sur terre et sur mer pour que ta demeure expose les dépouilles prises sur les ennemis ; moi je suis retenu enchaîné par les liens de ma belle amie et je reste assis comme un portier devant ses dures portes (53-56).

Gallus mentionnait des trophées accrochés dans les temples, Tibulle des dépouilles exposées dans la maison de Messala. Dans la Bucolique 10, Virgile recourt à un composé de teneo : Gallus se dit « retenu » (detinet) par l’amour de Mars tela inter media atque aduersos ... hostis (45). Dans son élégie 1, 1 Tibulle en utilise un autre : retinent, et choisit, pour évoquer le genre de vie qu’il a préféré à la militia, la situation du paraclausithuron, avec une innovation ingénieuse. Il se compare au ianitor, un esclave enchaîné, assis devant des portes fermées, métaphoriques de refus de la puella, et qualifiées donc de duras. Dans cette élégie comme dans l’épigramme b du papyrus, la militia victorieuse est le choix d’un personnage politique issu d’une grande famille, César ou Messala, et le « dur » seruitium amoris celui d’un poète, Gallus ou Tibulle.

Partir en campagne militaire – c’est l’idée développée par Tibulle dans l’élégie 2, 6 – signifierait par contre coup abandonner la vie amoureuse, et plus particulièrement la place de l’amant devant la porte. Dans ce texte en effet le poète proclame que, si se faire soldat permet de se soustraire au pouvoir de l’amour : Quod si militibus parces (« si tu (l’Amour) épargnes les soldats », 7), il est prêt à changer de genre de vie : erit hic quoque miles (« Tibulle lui aussi sera soldat », 7). Mais il se trouve incapable de mettre à exécution cette belle résolution et revient ad limina (13), autrement dit, devant les portes clauses (clausae ... fores, 12) de la maison de sa maîtresse. Le reste de l’élégie est consacrée à des plaintes sur la dureté de Némésis, qualifiée de dura au vers 28, ce qui est aussi le cas du seuil de sa maison au vers 47 (a limine duro).

Peut-on supposer que, dans un poème de ses Amores, Gallus assumait successivement ces choix de vie antagonistes ? C’est ce qui semble ressortir, non seulement de la Bucolique 10, mais aussi de l’élégie 1, 3 de Tibulle, qui commence par une variation sur la situation évoquée dans son élégie 1, 1. Messala est en campagne, Tibulle est retenu (tenet) ailleurs. Cette fois c’est la maladie qui tient le poète éloigné de son protecteur : Ibitis Aegaeas sine me, Messala, per undas,/ o utinam memores ipse cohorsque mei !/ Me tenet ignotis aegrum Phaeacia terris (« Vous irez, sans moi, Messala, à travers les flots égéens, puissiez-vous, toi et ta cohorte, vous souvenir de moi. Moi, c’est la Phéacie qui me retient en proie à la maladie sur ses terres inconnues », 1-3). Détail qui prouve qu’il avait momentanément abandonné le genre de vie amoureux : cette maladie l’a pris à un moment où il accompagnait Messala dans sa militia. La suite du texte est centrée sur une autre situation, qui découle à la fois de la maladie de Tibulle et de son choix initial de la militia : il se trouve séparé, comme Gallus dans la Bucolique 10, de sa puella, ce qui le remplit d’inquiétude sur la fidélité de son amie. Est-elle restée seule ? Ou, comme Lycoris dans la Bucolique 10 (en écho sans doute à un texte des Amores), vit-elle d’autres amours ? Dans l’élégie 1, 3, cette inquiétude donne lieu à un vers d’où il ressort que les militiae séparent les amants : Illic sit quicumque meos uiolauit amores/ optauit lentas et mihi militias (« Qu’il y ait là (aux Enfers) quiconque a profané mes amours et m’a souhaité une lente campagne militaire », 81-82). Il y a de grandes chances pour que ce passage soit une variation sur un texte gallien : dans son édition de Tibulle78, G. Lee rapproche en effet ces vers d’un graffito pompéien : si quis forte meam cupiet uiolare puellam/ illum in desertis montibus urat Amor (« S’il se trouve quelqu’un pour faire violence à mon amie, qu’il se retrouve sur des monts solitaires brûlé par les feux de l’Amour », CIL 4, 1645). Ces deux vers semblent avoir été inspirés par les Amores sur les plans thématique (les lieux déserts comme cadre des souffrances amoureuses), stylistique (Amor utilisé comme sujet d’un verbe) et linguistique (l’usage des mots puella et uro). Il est difficile d’apprécier le rapport à Gallus dans le graffito, qui peut être une espèce de pastiche ou une citation plus ou moins précise. Les similitudes entre ce texte et les vers 81-82 de Tibulle (une imprécation contre un rival non identifié, le souhait qu’il soit puni en se retrouvant dans un lieu indésirable et le choix du verbe uiolare pour la faute commise) laissent simplement supposer qu’il s’agissait d’éléments présents dans le texte de Gallus79.

Pour en revenir à Tibulle, dans aucun de ses textes l’adjectif durus n’est utilisé en relation avec les actes ou le genre de vie du soldat, excepté dans un passage de l’élégie 1, 10 qui loue ainsi la paix : pace bidens uomerque nitent, at tristia duri/ militis in tenebris occupat arma situs (« grâce à la paix le hoyau et la charrue étincellent, tandis que les tristes armes du dur soldat sont, dans l’ombre, la proie de la rouille », 49-50). Comme c’était le cas dans la Bucolique 10 avec l’expression duri Martis, l’adjectif duri, accolé à militis, évoque ce que la guerre requiert du soldat : sa « dureté », autrement dit, son aptitude à supporter toutes sortes de labores avant et durant les combats. Dans la Bucolique 10, Virgile adjoint un adjectif négatif insanus au mot amor, auquel se rapporte duri Martis. Il en est de même ici avec l’adjectif tristia qui qualifie les arma du duri militis. Tibulle a, par ailleurs, dans plusieurs de ses textes, repris et accentué la condamnation de la guerre que l’on trouve dans la Bucolique 10, où l’insanus amor de Mars est glosé par une situation d’extrême danger : Gallus est exposé aux traits des ennemis qui sont face à lui. Dans les élégies 1, 3 et 1, 10, Tibulle dénonce en effet l’invention funeste de l’épée comme étant à l’origine des guerres et de nouveaux et/ou plus rapides chemins vers la mort (1, 3, 47-50 ; 1, 10, 1-4). Il juge, lui aussi, ce choix de vie insensé : Quis furor est atram bellis arcessere Mortem ? (« Quelle folie de faire venir la noire mort en combattant ? », 1, 10, 33). À ces bellis il préfère d’autres combats, ceux de Vénus : Veneris ... bella (1, 10, 53), qui tournent à l’avantage de l’amant, quoique ce dernier en regrette le résultat, au moment où sa belle se plaint de sa porte brisée (perfractas ... fores, 54) et de ses cheveux arrachés. Le poète précise alors que ce genre de combats, qualifiés de rixa (57), doit être mesuré : il ne faut pas frapper son amie, mais seulement ... déchirer ses vêtements, défaire sa coiffure, la faire pleurer. Un amant incapable de s’en tenir là serait « de pierre ou de fer » (a lapis est ferrumque, 59) et ne mérite que ... d’être soldat (... scutumque sudemque/ is gerat et miti sit procul a Venere, « qu’il porte le bouclier et le pieu et se tienne loin de la douce Vénus », 65-66)80.

2.3. … à la militia « victorieuse » de l’amant

Cette élégie de Tibulle me sert de préalable à la dernière partie de mon étude sur durus, qui sera consacrée à la façon dont les poètes élégiaques ont cherché à réinvestir le genre de vie du soldat dans celui de l’amant en ayant deux visées. D’une part valoriser le genre de vie élégiaque en lui associant, non plus l’image du seruus, mais celle du soldat, ce qui avait l’avantage d’être plus cohérent avec la duritia attendue de l’amant dans le seruitium amoris, rebaptisée alors militia. D’autre part, proposer avec la militia amoureuse une alternative à la militia proprement dite qui soit plus conforme aux mœurs et à l’organisation politique et militaire de la Rome de leur temps.

2.3.1. Properce

C’est à Properce qu’est dû ce changement majeur, même si on trouve le motif de la militia amoris 81– sur un mode mineur – chez Tibulle. Dans son élégie 1, 1, ce dernier déclare en effet qu’il est dans la période de sa vie où il n’y pas de honte pour un amant à briser des portes (frangere postes, 73) et à se livrer à des rixae (74). Tel est le genre de combats – non militaires – qu’il est prêt à engager : hic ego dux milesque bonus : uos, signa tubaeque/ ite procul, cupidis uulnera ferte uiris/ ferte et opes ... (« ici moi je serai bon chef et bon soldat ; quant à vous, enseignes et trompettes, allez-vous-en au loin, partez blesser les hommes qui sont cupides ; apportez-leur de quoi s’enrichir », 75-76)82. Le motif des combats de Vénus est, nous l’avons vu, en partie repris dans l’élégie 1, 1083. Un détail qui est à noter : en 1, 1, 75, le mot dux accompagne celui de miles ; à l’un la victoire, à l’autre l’endurance ?

Le texte le plus important pour le développement de cette thématique est l’élégie 1, 6 de Properce, parce qu’il y établit le genre de vie élégiaque dans sa totalité comme une militia d’une nouvelle espèce84 :

Non ego sum laudi, non natus idoneus armis
    hanc me militiam fata subire uolunt.

Moi je ne suis pas né avec ce qui est requis pour la gloire et pour les armes ; c’est ce genre de vie militaire que les destins veulent que je supporte (29-30).

Dans ce texte, où Properce explique son refus d’accompagner Tullus en Grèce et en Asie par l’incapacité où il est d’abandonner sa bien-aimée, on trouve trois termes relevant du vocabulaire de la duritia. Au vers 11, le poète reconnaît qu’il ne résiste pas quand sa puella proclame son amour pour le convaincre de rester auprès d’elle (autrement dit, dans des circonstances où elle est le contraire d’une dura puella) : his ego non horam possum durare querellis (« Moi je ne peux résister une heure quand elle se plaint », 11). Il existe deux verbes durare, l’un dérivé de durus, l’autre de dudum, Il s’agit ici du second, qui signifie « résister », « durer » mais aussi « endurer », « souffrir ». Il me semble toutefois qu’on ne peut exclure, dans la mesure où joue ici l’homonymie avec le premier durare, le sens d’« être dur », d’autant qu’au vers 18 : et nihil infido durius esse uiro (« qu’il n’est rien de plus dur qu’un homme sans loyauté »), Properce utilise l’adjectif durus dans le même contexte : il s’agit d’une des phrases prononcées par Cynthie pour le retenir auprès d’elle. Et effectivement Properce ne sera pas durus, puisqu’il cède à ce discours et reste à ses côtés. C’est un texte qui, soit dit en passant, met en évidence une incapacité chez l’homme à être « dur » à la manière où l’est sa puella, laissant supposer une différenciation sur ce point entre les sexes ... assez inattendue, elle aussi, la femme se révélant plus « dure » à faire basculer du côté de la mollitia.

Durus est de nouveau utilisé dans le dernier vers du texte, à la fin d’un passage où Properce glose l’opposition qu’il a faite aux vers 29-30 entre la militia amoureuse qu’il revendique et la militia au sens habituel du terme, qui est le choix de vie attribué au destinataire du texte, Tullus. À cette militia il associe les armes et la gloire, comme c’était le cas chez Gallus à propos de César et chez Tibulle à propos de Messala. On retrouve d’ailleurs une variante du vers 2 de l’épigramme b du papyrus de Qasr Ibrîm : maxima Romanae pars eri(s) historiae, sous la forme ibis et accepti pars eris imperii (« tu t’en iras et tu seras une part d’un pouvoir bien reçu », 34) à propos de la militia de Tullus, parti apparemment représenter Rome en Asie, ce qui implique un rôle militaire. Quant à la militia amoureuse à laquelle les destins (fata est un mot présent, lui aussi, dans l’épigramme b du papyrus) ont voulu que Properce se soumette (subire), elle est présentée comme un genre de vie « à la dure », autrement dit, à endurer : uiuere me duro sidere certus eris (« tu seras certain que je vis sous une dure étoile », 36). Il y a évidemment de l’ironie dans le mollis que Properce choisit d’accoler, au vers 31, au nom de la région dans laquelle Tullus va partir : l’Ionie (même si effectivement elle est réputée pour sa mollitia) : au lecteur de conclure qui, du miles Tullus ou de l’amant Properce, aura la militia la plus dura !

Au livre 4, l’emploi du mot militia dans la définition qui est donnée de l’élégie dans le premier poème est significatif de l’importance prise par cette métaphore, en remplacement de celle de l’esclavage85 :

At tu finge elegos, fallax opus, (haec tua castra !)
    scribat ut exemplo cetera turba tuo.
Militiam Veneris blandis patiere sub armis
    et Veneris pueris utilis hostis eris.

Mais toi façonne des vers élégiaques, œuvre trompeuse, (voilà ton camp) pour qu’une foule de gens écrive en suivant ton exemple. Souffre le service de Vénus en prenant des armes caressantes et tu seras un ennemi qui servira bien les enfants de Vénus (4, 1, 135-138).

Si le mot patiere conserve l’idée d’endurance, avec les adjectifs blandis et utilis, ce qui est mis en avant, ce sont les moyens utilisés et l’efficacité attendue de cette militia : il s’agit d’user de séductions, douceurs, flatteries comme d’armes et de bien servir dans ses attaques les divinités de l’amour, avec pour but de faire des émules parmi les lecteurs. En d’autres termes, ce qui est visé ici, ce n’est pas, comme nous l’avons vu auparavant, de supporter avec endurance la duritia du seruitium amoris tout en multipliant les plaintes attestant la force de l’amour en espérant qu’elles « amolliront » la puella, mais d’être vainqueur au terme d’attaques menées en recourant, non à la violence comme dans les vrais combats, mais à des douceurs et caresses. La visée est donc là aussi de mollire, mais le recours à la métaphore de la militia axe implicitement la stratégie utilisée sur l’idée de victoire86.

2.3.2. Ovide

C’est toutefois Ovide, et non Properce, qui a donné le plus d’ampleur à la métaphore de la militia amoris 87. Son élégie 1, 988 propose une comparaison, point par point, entre le soldat et l’amant, amorcée par cette déclaration : Militat omnis amans et habet sua castra Cupido,/ Attice, crede mihi, militat omnis amans (« tout amant fait une campagne militaire et Cupidon a son propre camp ; crois-moi, Atticus, tout amant fait une campagne militaire », 1-2). Sans entrer dans le détail, l’endurance, la ténacité et le courage sont – sans surprise – les aptitudes, implicitement ou explicitement, associées aux actes de l’un et de l’autre : tous les deux veillent toute la nuit, couchent par terre, gardent des portes fermées, font de longs voyages. Ce dernier aspect correspond davantage aux activités militaires. Néanmoins six vers évoquent les obstacles naturels que l’amant sera capable, comme le soldat, d’affronter (pour suivre sa puella en cas de départ de cette dernière) : les montagnes, les fleuves en crue, les neiges, les tempêtes et les frimas (11-16). La fin du texte concerne l’autre partie de la militia : l’affrontement de l’ennemi et la victoire. Du côté de l’amant, il s’agit de franchir des obstacles, comme les portes et les positions des gardiens. Le combat à livrer aura lieu, non avec le mari, dont il faut seulement profiter du sommeil, mais avec la puella : saepe maritorum somnis utuntur amantes/ et sua sopitis hostibus arma mouent (« souvent les amants se servent du sommeil des maris et quand leurs ennemis sont assoupis font usage de leurs armes à eux », 25-26). Au passage, à propos de son seuil, la puella est qualifiée ici aussi de dura (19). Ovide défend à la fin de son poème la thèse – paradoxale – que le genre de vie du soldat et celui de l’amant nécessitent le même type d’ingenium, qu’il qualifie d’experientis, « entreprenant » (32). Il cite à l’appui une série d’exemples mythologiques de guerriers qui furent en même temps des amants : Achille, Hector, Agamemnon et ... Mars, en évoquant son emprisonnement avec Vénus dans les liens forgés par Vulcain. Puis il ajoute son propre exemple : en le rendant agilem et nocturna bella gerentem (« actif et occupé à des guerres nocturnes », 45), l’amour a mis fin à sa « mollesse » (mollierunt animos lectus et umbra meos, « le lit et l’ombre avaient amolli mon esprit », 42)89.

L’assimilation de l’amant à un soldat fait aussi le fond de l’élégie 2, 12, où Ovide explique, de façon drôle, qu’il est vainqueur (uicimus, 2) : il a Corinne dans ses bras, après avoir éliminé trois obstacles, le uir, le custos et la porte, tot hostis (« autant d’ennemis », 3) et avoir joué tous les rôles militaires successivement : Me duce ad hanc uoti finem ; me milite ueni/ ipse eques, ipse pedes, signifer ipse fui (« c’est en tant que chef et en tant que soldat que j’ai mené à leur terme mes vœux : j’ai été tout à la fois cavalier, fantassin et porte-enseigne », 13-14), le tout sans effusion de sang (6, 27)90.

Mais le grand texte où Ovide exploite, de façon encore plus systématique, l’idée que l’amant est un soldat, c’est l’Art d’aimer, présenté par lui comme un traité à l’usage d’un lecteur qui se lancerait dans une militia d’un nouveau genre : principio, quod amare uelis, reperire labora,/ qui noua nunc primum miles in arma uenis (« travaille d’abord à trouver un objet que tu veuilles aimer, toi qui pour la toute première fois viens, en soldat, prendre des armes d’un nouveau genre », 1, 35-36). C’est la métaphore qui sous-tend explicitement les trois livres : il s’agit de donner des armes aux hommes, puis aux femmes91. L’usage qu’Ovide fait de durus et de mollis dans l’Art d’aimer est le même que chez les autres élégiaques. Durus qualifie la porte (2, 636), la voix du portier (3, 587) et la puella (2, 527). Mollis est du côté de l’amour et de Vénus, avec un emploi ironique qu’on peut souligner au livre 2, où duris est à substituer et à ne pas substituer à mollibus : nox et hiemps longaeque uiae saeuique dolores/ mollibus his castris et labor omnis inest (« la nuit, l’hiver, les longues étapes, les souffrances cruelles, voilà ce qu’il y a dans ces camps de la mollesse ainsi que toutes sortes d’épreuves » ; 235-236). Comme chez les autres élégiaques, si l’endurance est reconnue comme une valeur (l’un des mots d’ordre est perfer et obdura 92, « supporte et endure », 2, 178) la mollitia l’est tout autant : pour être victorieux en amour, ce qui est le résultat que cherche à assurer explicitement l’Art d’aimer, il faut savoir user de blanditias molles (2, 159)93.

3. Conclusion

Je voudrais revenir sur mon hypothèse de départ, à savoir que le glossaire amoureux créé par Gallus et ses successeurs, et plus particulièrement leur emploi de l’adjectif durus, en contrepoint de l’adjectif mollis, a joué un rôle essentiel, parallèlement à un choix de motifs pris pour la plupart chez les poètes hellénistiques et néotériques, dans la construction de nouveaux rapports entre les sexes dans le cadre des relations érotiques.

La première conclusion à tirer de l’enquête menée chez les élégiaques est que les usages de durus n’ont pas été, de Gallus à Ovide, exactement les mêmes. Il est peu probable que Gallus ait qualifié Atalante, l’héroïne de son exemplum mythologique le plus fameux, de dura seulement en raison du refus de la jeune fille de répondre à l’amour de Milanion. Même si ce refus apparente son attitude à celle de son inconstante puella, l’adjectif dans son cas ne signifie sans doute pas uniquement « dure pour autrui », « insensible à l’amour », mais également « dure pour elle-même », « endurante », le nom d’Atalante permettant de faire aussi de dura une épithète de nature, en relation avec le mode de vie que la jeune fille avait choisi94. Si l’on en juge par l’élégie 1, 1 de Properce, Gallus mettait l’accent sur la nécessité où s’était trouvé Milanion de se rendre semblable à Atalante pour la conquérir, en faisant preuve des mêmes qualités d’endurance et de courage face aux labores qu’elle lui imposait. Toutefois la métaphore qu’il utilise à propos de ce comportement : l’esclavage soulignait, non pas tant la « dureté » du mode de vie auquel l’amant est contraint, que sa soumission, par le biais de mots comme domina, seruus, seruire, seruitium ou obsequium 95(amoris). Si l’on en croit le papyrus de Qasr Ibrîm, la Bucolique 10 et certains passages de Tibulle, où la militia d’un grand personnage romain est mise en regard du choix que fait le poète élégiaque de rester devant les « dures » portes closes de sa puella, Gallus, jouant sur l’étymologie de militia, opposait à l’esclavage imposé à l’amant par la « dureté » de sa domina les campagnes militaires, domaine du « dur » Mars, synonymes d’épreuves et de dangers, mais aussi de victoires et de trophées.

C’est chez ses successeurs, confrontés par ailleurs à l’exemple de Virgile et/ou à des incitations, plus ou moins directes, en provenance de l’entourage du Princeps à écrire des textes épiques, que l’on trouve à la fois une nette défense du choix de la vie élégiaque par rapport à celui d’une vie héroïque au service de la patrie, et une exploitation inattendue de durus. L’adjectif est en effet déplacé, de son domaine d’usage traditionnel qui est, comme le confirme l’étymologie de militia, la guerre, vers le champ d’activités nouveau revendiqué par l’amant élégiaque. Tibulle timidement, Properce clairement et Ovide plus systématiquement présentent le genre de vie amoureux comme une militia métaphorique. C’est l’amant de Cynthie qui, le premier, proclame le uitae modus élégiaque aussi, voire plus « dur » qu’une « vraie » militia, tenue encore à son époque pour un passage si ce n’est obligé, du moins attendu pour tout iuuenis (ce qui d’ailleurs avait été le cas de Catulle et de Tibulle). Mais c’est l’amant de Corinne qui radicalise cet emploi de durus, en mettant très nettement l’accent sur d’autres caractéristiques du soldat : son courage et son esprit d’entreprise qui conduisent à la victoire, avec pour visée la prise de la puella au cours de l’acte amoureux96.

La substitution de la métaphore de la militia amoris à celle du seruitium amoris témoigne d’une évolution importante dans la conception des rapports de sexe. Avec la militia amoris, on a en effet une réaffirmation des qualités viriles (naturelles ? ) de l’amant, quoique d’une façon paradoxale et provocatrice, puisque c’est le domaine de la mollitia : l’amour qui est célébré comme le meilleur lieu d’exercice de ces qualités. Quant à la puella, considérée comme mollis par nature (de par son corps), il semble que l’usage de dura soit, dans son cas, lié aux circonstances et aux points de vue. À l’inverse de la farouche Atalante, la puella élégiaque, à commencer par la Lycoris de Gallus, a généralement cédé à son amant ou à d’autres auparavant. Si elle dit non au poète, c’est parce qu’elle préfère un autre homme. Elle est donc « dure » pour lui, mais loin de l’être, dans le même temps, pour celui ou ceux, à qui elle ouvre désormais sa porte. Aussi est-il tentant de supposer que l’emploi de durus à son propos est plutôt fonctionnel : en relation avec le fait que l’élégie est un genre littéraire où alternent succès et échecs amoureux. La puella ne serait dura que pour que son amant le soit aussi ! Qui plus est, dans un autre sens : elle est « dura pour autrui », alors que son amant sera « durus pour lui-même ». Confronté à la nécessité d’expérimenter un mode de vie durus, bien qu’il n’ait pas choisi celui du miles, il doit en effet se montrer capable de vaincre tous les obstacles, dont la porte fermée, qualifiée aussi de dura, et il prouvera définitivement sa valeur dans les diverses péripéties de l’acte amoureux, assimilées à une succession de luttes. Est-ce à dire que le féminin ne sert que de faire valoir au masculin ? Pas seulement, me semble-t-il, dans la mesure où l’amant doit être à la fois durus et mollis (comme l’est naturellement la femme) pour mériter les faveurs de sa puella. Faire preuve en amour des qualités du soldat, telles qu’elles s’expriment dans une « vraie » militia, ne suffirait pas. Un uir doit se montre capable d’user de douceur, de caresses et de séductions. Faire de la mollitia une arme stratégique passe par une appropriation et donc une revendication d’une « qualité », associée, si on se réfère à l’idéologie romaine, au sexe féminin, ce qui peut aussi être vu comme une valorisation indirecte du genus muliebre. À cet égard les rapports de sexes construits par les fictions élégiaques marquent une nette rupture avec l’idéologie traditionnelle : ils sont, dans la conception de l’amour et de la sexualité qui caractérise le nouveau discours érotique, le lieu d’exercice privilégié de qualités marquées traditionnellement comme féminines (la mollitia) ou comme masculines (la duritia), lesquelles sont, au fil des textes, développées alternativement et/ou simultanément par les deux sexes, et donc en fait « partagées »97.

La vision des relations amoureuses et des rapports de sexe, que les élégiaques ont proposée à leurs contemporains s’est inscrite dans un contexte particulier, Auguste ayant fait de la réactivation de l’idéologie romaine traditionnelle un des axes de sa politique. Aussi je terminerai cet article par deux remarques sur les prises de position des deux poètes qui ont le plus recouru à la métaphore provocatrice de la militia amoris. Dans son élégie 2, 15, Properce décrit l’union entre amants comme une longue rixa (4) menée par la puella, luttant (luctata, 5), seins nus, et conclut que si tous avaient le désir d’un tel genre de vie, ce serait la fin des guerres romaines et des deuils qui en accompagnent les triomphes. C’était – réponse différente apportée à une alternative remontant à Gallus – présenter le genre de vie élégiaque, en tant que militia victorieuse, sans danger et en fait « pacifique », comme un choix non seulement préféré par l’amant élégiaque, mais préférable, par tous, à la poursuite de l’accomplissement, par des guerres meurtrières, du destin historique de Rome98, célébré par l’épopée.

Malgré les dénégations du poète, la militia, détaillée par Ovide dans l’Art d’aimer, implique clairement une vie sexuelle libre, en dehors du mariage. Il ne s’agit pas simplement d’une alternative à une participation active aux guerres menées pour accroître ou maintenir l’empire, ou à l’écriture de textes épiques comme l’Énéide, mais d’une prise de position sur la question des mores et de leur évolution. C’est un point de vue beaucoup plus subversif, qui constituait une réponse à un décentrage dans l’idéologie romaine, le Prince ayant fait, lui-même, des mores une affaire majeure, et plus particulièrement, un enjeu dans le cadre de sa façon de gouverner, ce qui revenait à donner à toute revendication de liberté sexuelle une dimension politique. Auguste ne s’y trompera pas : Julie et Ovide seront exilés sur des accusations d’immoralité, qui étaient et n’étaient pas un prétexte, la mise au pas visée par les lois de 17 et de 18 av. J.-C. n’ayant manifestement pas été assez efficace.

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Notes

1 Voir J. Hallett dans ce même numéro. Retour au texte

2  »Metrically speaking, puella works beautifully as the end of a dactylic hexameter line, and within the second half of the pentameter line as well » (p. 204). Retour au texte

3 J. Hallett (2013, p. 196). Retour au texte

4 J. Hallett (2013, p. 206). Retour au texte

5 Thais in arte mea est ; lasciuia libera nostra est ;/ nil mihi cum uitta ; Thais in arte mea est (« C’est Thaïs qui est dans mon art (d’aimer), la liberté dans le badinage est nôtre, je n’ai rien à faire avec la bandelette des matrones ; c’est Thaïs qui est dans mon art (d’aimer) », Rem. am., 385-386). Retour au texte

6 Comme me l’a fait remarquer Alison Sharrock, le mot lecto utilisé par Ovide est sans doute à double entente. À travers le participe passé de legere, on entend le mot lectum (« le lit »), ce qui appuie l’idée qu’on ne peut quitter Gallus sans avoir été amolli (autrement dit, sans se trouver dans l’état propre à l’amour) comme c’est le cas dans et au sortir du lit. Retour au texte

7 Dans sa note au vers 48, Servius signale que Virgile transcrit ici des vers de Gallus. C’est une remarque qui vaut, sans doute, aussi pour les vers qui précèdent, puisque leur statut énonciatif est le même. Sur les renvois à Gallus dans la Bucolique 10, voir J. Fabre-Serris (2008, pp. 62-69). Retour au texte

8 F. Cairns (2006) inclut durus dans son glossaire des mots et concepts galliens (voir en particulier les pages 88-90, 111, 115, 139-140, 161, 176, 180, 188, 190-191, 198, 223, 269, 285, 288). Retour au texte

9 Voir D. Kennedy (1993), A. Keith (1994) et P. A. Miller (2001). Retour au texte

10 Voir C. Moatti (1977). Retour au texte

11 « Sois dure envers les vieillards, jeune femme. » Retour au texte

12 « Hélas pour moi, ne vainc pas la déesse, dure jeune femme. » Retour au texte

13 « Tu pleureras : ton cœur n’est pas enchaîné par du fer dur… » Retour au texte

14 « Les cœurs durs sont vaincus par de douces prières. » Retour au texte

15 « Et je fais le gardien, assis devant tes dures portes. » Retour au texte

16 « La porte est solidement fermée par un dur verrou. » Retour au texte

17 « Le verrou quel qu’il soit qui est appliqué à une porte pour la rendre dure. » Retour au texte

18 « Souvent au moment où je reconnais à partir du seuil dur la douce voix de ma maîtresse, cette femme dit qu’elle n’est pas à la maison. » Retour au texte

19 Je suis d’accord avec P. Murgatroyd (1981, p. 596) : « it is only with the Roman elegists that seruitium amoris assumed any real importance ». Je diffère sur le nom de celui à qui serait dû le développement de ce motif. À ce sujet je suis aussi en désaccord avec F. O. Coplay (1947), R. O. A. M. Lyne (1979) et E. Greene (1998). Voir aussi sur le seruitium amoris les analyses extrêmement intéressantes développées par K. McCarthy (1998). Retour au texte

20 « Ne regrette pas de supporter de dures épreuves. » Retour au texte

21 « Qu’il y ait pour moi de dures règles… » Retour au texte

22 « Il a brisé la cruauté de la dure fille d’Iasos. » Retour au texte

23 « Et je cherche quelque chose à l’adresse de ma dure maîtresse. » Retour au texte

24 « Quoique dure, c’est une jeune femme extraordinaire. » Retour au texte

25 « Le destin de ce malheureux fut une dure jeune femme. » Retour au texte

26 « De sa cruelle façon d’agir. » Retour au texte

27 « Si par hasard elle disait non avec un visage dur. » Retour au texte

28 « Si tu es dure, dis non ; si tu n’es pas dure, viens. » Retour au texte

29 « Elle est dure celle qui invente un amour feint pour beaucoup et peut s’offrir à plus d’un. » Retour au texte

30 « Habille-moi de tissus de Cos, je deviendrai une jeune femme qui ne sera pas dure pour toi. » Retour au texte

31 « Porte encore plus profondément cruelle que ta maîtresse elle-même, pourquoi te taire, fermée par des battants si durs pour moi ? » Retour au texte

32 « Bien qu’elle soit plus dure que le fer et que l’acier. » Retour au texte

33 « Cette peur est plus cruelle que les funérailles elles-mêmes. » Retour au texte

34 « Tu seras certain que je vis sous une dure étoile. » Retour au texte

35 « Je suis forcé de me plaindre de cette dure époque de ma vie. » Retour au texte

36 « Souvent je craignais beaucoup de dures épreuves produites par ta légèreté. » Retour au texte

37 « Il n’y a rien de plus dur sur terre que ce que vit un amant. » Retour au texte

38 « Tu ne supporteras pas par toi-même de si dures amours. » Retour au texte

39 « Il n’y a pas dans sa poitrine des veines de pierre ni du fer dur. » Retour au texte

40 « … Celui-ci assiège le seuil de sa dure amie… » Retour au texte

41 « De douces paroles ont attendri de dures portes. » Retour au texte

42 « Combien de fois, gravée sur la cire, ai-je été suspendue à de durs battants » (c’est l’Élégie qui parle). Retour au texte

43 « Ne dis pas des mots tendres, ne lance pas d’insultes à une porte, n’étends pas ton flanc sur un seuil dur. » Retour au texte

44 « … Mets-toi à penser à ton rival, au dur seuil… » Retour au texte

45 Mollis est associé au lectus et au torus (Tibulle, 1, 2, 19, 56 ; Properce, 1, 3, 34 ; 20, 22 (mollia qualifie ici des litora mais dans un contexte où des feuillages en font une couche) ; 2, 4, 11 ; Ovide, Am., 1, 9, 42 ; 2, 4, 14 ; Ars am., 2, 712), au sommeil, somnus, (Tibulle, 1, 2, 74) et au repos, quies (Properce, 1, 3, 7). Properce emploie le verbe mollire en 4, 4, 62 : … uestra meus molliet arma torus (« … mon lit fera céder vos armes »), et en 4, 5, 5 : docta uel Hippolytem Veneri mollire negantem, « habile même à fléchir en faveur de Vénus les refus d’Hippolyte ». Voir aussi Ovide à propos du sexe touché molliter par la main de la puella (Am., 3, 7, 74) et à propos de la mollities (seule occurrence du mot chez les élégiaques) passée de son amie : Heu ! ubi mollities pectoris illa tui ? (« hélas, où est passée la capacité à s’émouvoir de ton cœur ? », 3, 8, 18). Molliter est souvent employé par Properce (1, 3, 12 ; 11, 16 ; 14, 1 ; 17, 22 ; 2, 12, 24). L’adverbe était apparemment associé par Gallus au mot ossa, si on en juge par le fait qu’on trouve les deux : molliter et ossa au vers 33 de la Bucolique 10, chez Properce, 1, 17, 22 et chez Ovide, Am., 1, 8, 108. Dans l’Art d’aimer, Ovide emploie mollis à propos de Vénus (neque enim dea mollior ulla est, « aucune déesse en effet n’est plus tendre », 2, 565) et de l’art de lire des vers d’amour (3, 344). Retour au texte

46 Durus est l’adjectif utilisé par Ovide pour caractériser le mètre de la tragédie dans les Amours 3, 1 (duro cothurno, 45). Sur l’association de durus à l’hexamètre et de mollis au pentamètre, voir A. Keith (1994, p. 34). Retour au texte

47 Comme le souligne G. Sissa (2008, p. 154), selon Lucrèce, « the process of civilisation involves a progressive physical softening up ». L’humanité a commencé à mollescere (tum genus humanum primum mollescere coepit, 1014) avec diverses innovations techniques (usage de maisons, de peaux de bêtes, du feu…) mais surtout avec l’invention du mariage, Vénus ayant elle-même donné « the initial impetus towards this transformation ». C’est toutefois Ovide qui exploitera cette idée d’une façon positive : blanda truces animos fertur mollisse uoluptas (« la caressante volupté a, rapporte-t-on, adouci la sauvagerie des esprits », Ars. am, 2, 477), un vers que G. Sisssa commente ainsi : « Human sociability is the creation of Venus. And the history of human beings is the history of how their sexuality became sensuality » (p. 155). Retour au texte

48 Voir Virgile, chez qui l’adjectif durus peut qualifier un homme ou une race (Én., 2, 7 ; 3, 94 ; 5, 730 ; 8, 380 ; 9, 468 ; 603 ; 10, 317, 422, 748 ; 11, 48. Retour au texte

49 Pour une exploration des tensions présentes dans l’image romaine de la masculinité pour ce qui est de l’amour du fait de l’alternative : softeness ou hardness, being in love ou being potent, voir A. Sharrock (1995, pp. 162-166). Retour au texte

50 « Cette porte s’est relâchée sous l’effet de mes mots doux. » Retour au texte

51 On trouve aussi des occurrences de durus chez Lygdamus (2, 3 ; 4, 76, 92 ; 5, 22) et une chez Sulpicia (9, 3). Retour au texte

52 F. Cairns (2006, pp. 89-90). Retour au texte

53 D. O. Ross (1975, p. 62) glose le nom d’Atalante par « unyielding ». Retour au texte

54 Sur les jeunes filles chasseresses d’Ovide, voir J. Fabre-Serris (1995, pp. 282-283). Retour au texte

55 Comme l’a bien mis en évidence A. Sharrock (1995, p. 157), « the lover must – paradoxically – be weak to be strong, yield to win ». Retour au texte

56 Le choix de l’adjectif durus pour qualifier l’amour de Léandre me semble typique de la position de Virgile. C’est un autre exemple, à côté de celui d’Orphée ou de Didon, de sa condamnation du furor gallien et de ses excès. Au lieu d’attendre que les vents et les flots se calment, en se plaignant de ces circonstances hostiles à son amour, comme le fait Ovide dans les Amours 3.6, Léandre brave les éléments déchaînés, métaphoriques de la tempête qui agite son âme. L’idée sous-jacente est que l’amour le presse « durement » et le pousse à affronter des dangers inconsidérés, ce qu’Ovide mettra en évidence dans l’Héroïde 18. Il est évidemment impossible de savoir si Ovide se réapproprie alors un motif virgilien, qu’il intègre au genre élégiaque en choisissant de le traiter, à l’inverse de Virgile sans condamner le furor de Léandre, ou s’il reprend ici un point de vue déjà développé par Gallus. Retour au texte

57 Voir A. Barchiesi (1999, p. 64). Retour au texte

58 Sur tout ce passage et le fait qu’il s’agit d’une réponse à Lucrèce, voir J. Fabre-Serris (2007, pp. 148-150). Retour au texte

59 Voir la version satirique de l’opération chez Properce : altera uix ipso sanguine mollis erit (« l’autre (la puella par opposition au puer, qu’un mot suffit à fléchir), c’est à peine si même verser son sang l’adoucira », 2, 4, 22) ou son application à la porte : interea nobis non numquam ianua mollis (« pendant ce temps il est parfois arrivé que la porte s’adoucisse pour nous », 2, 20, 23). Autre moyen de la mollire : la toucher (Ovide, Am., 2, 4, 24 : at poterit tacto mollior esse uiro, « une autre pourra être adoucie au contact d’un homme »). Retour au texte

60 On trouve une variante de cette idée (sous une forme métaphorique) chez Tibulle (en 1, 4, 18), chez Properce (2, 3, 47-48) et chez Ovide (Am., 2, 1, 22 ; 2, 66 ; 3, 5-6 ; Ars am., 1, 474-475 ; 2, 152 ; 159-160). Retour au texte

61 Tibulle, 1, 8, 30. Retour au texte

62 Tibulle, 1, 8, 9. Retour au texte

63 Ovide, Ars am., 1, 533. Retour au texte

64 Ovide, Ars am., 1, 593. Retour au texte

65 Properce, 2, 12, 24 ; Ovide, Am., 2, 4, 23 ; Ars am., 3, 306. Retour au texte

66 Properce, 1, 11, 14. Voir aussi Ovide, Am., 2, 4, 30. Retour au texte

67 Dans l’Épode 11, Horace qualifie de molles les puellae et les pueri pour lesquels l’Amour le fait, plus que tout autre, s’enflammer. L’adjectif sert à suggérer l’attractivité des unes et des autres tout en connotant le genre élégiaque, que le poète satirique parodie ici. Vu la date de la composition des Épodes, ce texte ne peut viser que les Amores de Gallus, ce qui laisse possibles deux hypothèses : ou il y avait un emploi similaire de mollis pour qualifier des pueri et/ou des puellae chez Gallus, ou le choix d’Horace s’explique par le fait que mollitia et amor sont du même côté dans le genre élégiaque. Il n’y a par ailleurs rien d’étonnant à ce que pueri et puellae soient qualifiés de la même manière, dans la mesure où ils partagent une même situation érotique : le fait d’être des objets du désir dont le corps est promesse de plaisirs. Retour au texte

68 Sans poursuivre sur les rapports entre durus, mollis et les deux sexes, je renvoie à Alison Sharrock, qui souligne dans un article consacré à « Gender and sexuality » (2002, p. 97), un autre aspect des nécessités contradictoires auxquelles l’homme est confronté : pour être un homme (uir), il doit être durus, mais l’amour (pour lequel il a besoin d’être durus), le rendra mollis. Retour au texte

69 F. Cairns (1984, pp. 212-213). Retour au texte

70 Comme A. Sharrock me l’a suggéré, l’expression insanus amor duri Martis peut faire penser à celle par laquelle Virgile condamne le comportement de Nisus : dira cupido (Én., 9, 185), qui témoigne du même usage d’un vocabulaire sexualisé pour parler du désir éprouvé pour la gloire militaire. Retour au texte

71 Je résume ici une analyse développée dans une communication intitulée « Jeux et paradoxes dans la réception de la poésie augustéenne : le Catalepton 9 et la première élégie à Mécène », que j’avais faite au XVIIIe congrès national de la SBEC « Antiquité : réception et performance », les 17-21 octobre 2011 à Rio Janeiro, et que j’ai à reprendre pour publication. Retour au texte

72 Il est à noter que l’adjectif horrida est présent aussi dans la Bucolique 10, où il est associé à castra (23). Retour au texte

73 Dans la Bucolique 10, une partie des détails associés ici à la dura militia : les frimas, les aspérités du sol, servent à planter le cadre naturel hostile dans lequel se retrouve la puella, qui a suivi son nouvel amant alors en campagne militaire en Gaule. Retour au texte

74 Sur les arguments en faveur de ce sens, voir A. Morelli (1985, p. 151). Retour au texte

75 Sur le débat suscité à propos du sens du mot, voir aussi A. Morelli (1985, pp. 146-147). La position la plus répandue est que le terme désigne l’historiographie en tant que genre encomiastique. Le vers équivaudrait à « tu godrai la piú alta fama presso contemporanei e posteri ». Retour au texte

76 C’est également l’avis de G. Giangrande (1981, p. 43) et de L. Nicastri (1984, p. 122). Retour au texte

77 Voir F. Cairns (2006, pp. 83-90). Les mots repris, avec variations, sont historia, pars eris. Retour au texte

78 G. Lee (1982, p. 124). Retour au texte

79 Sur ce passage et ses rapports avec d’autres textes élégiaques, voir J. Fabre-Serris (2009). Retour au texte

80 Pour une variation sur ce motif, voir l’élégie 1, 7 des Amours d’Ovide, qui en constitue une amplification. Retour au texte

81 Sur la militia amoris, voir P. Murgatroyd (1975), L. Cahoon (1988), J. C. McKeown (1995), M. Gale (1997). Retour au texte

82 Comme l’a fait observer J. H. Gaisser (1983), Tibulle ajoute à la figure de l’amator et à celle du miles une troisième figure celle du rusticus. Sur ce choix de Tibulle et le jeu entre ces trois figures, voir son article et celui d’A. Sharrock (2012). Retour au texte

83 Voir J. H. Gaisser (1983, pp. 70-72). Tibulle (2, 3, 33-34) est aussi le premier à introduire le motif des Amoris castra, voir P. Murgatroyd (1975, p. 68). Retour au texte

84 Un des signes du succès de ce motif peut, me semble-t-il, être vu dans l’Ode 3, 26 d’Horace, qui commence par uixi puellis nuper idoneus/ et militaui non sine gloria : « j’ai récemment vécu en me montrant apte à conquérir les belles et j’ai fait campagne non sans gloire », 1-2). On a dans tout le texte un jeu, entre parodie et ironie, avec des motifs élégiaques célèbres, comme c’est aussi le cas dans l’ode suivante. Retour au texte

85 Tibulle, tibiseruit, 1, 2, 97 ; Veneri ... seruire, 2, 3, 29-30 ; seruitium, 2, 4, 1 ; 3 ; seruitium dominae, 3, 19, 22 ; Sulpicia, seruitium, 3, 11, 4 ; seruiat, 3, 11, 13 ; amicus Sulpiciae, seruire, 3, 12, 10 ; Properce, assueto ... seruitio, 1, 4, 4 ; seruire dolori, 1, 7, 7 ; graue seruitium, 1, 5, 19 ; translato ... seruitio, 1, 12, 18 ; seruus amoris, 2, 13, 36 ; seruitium mite, 2, 20, 20 ; seruitio ... superbo, 3, 17, 41 ; tibi ... seruire, 3, 25, 3) ; Ovide, seruitium (Am., 1, 2, 18), seruire (Am., 2, 17, 1), seruus (Am., 3, 11 a, 12, Rem. am., 54). Retour au texte

86 L’hypothèse que je propose n’est pas incompatible avec celle avancée par J. H. Gaisser (1983, p. 66), selon qui « the morality of love is probably also responsible for the predilection of all the elegists for the figure militia amoris, whereby love itself is viewed as a military campaign ». Par moralité de l’amour, elle fait référence au fait que Properce et Ovide « glory in their own nequitia » (en en faisant une vertu) « and develop it as a kind of counter-morality to the Roman military ideal ». Sur le choix de la nequitia et ses effets contradictoires (selon les critères choisis pour définir la masculinité, la proclamation du choix de la nequitia sape la virilité de l’amant ou sert à la proclamer sous l’aspect de l’activité érotique), voir A. Sharrock (2012). Retour au texte

87 Sur la militia amoris, voir P. Murgatroyd (1975), L. Cahoon (1988). Retour au texte

88 Sur l’élégie 1, 9, voir J. McKeown (1995), qui met le texte en rapport avec les exercices de rhétorique, et P. Murgatroyd (1999), qui parle de parodie. Il s’agit, à mon avis, plutôt d’humour, mais le fond du propos est sérieux. Retour au texte

89 Le passage se termine au vers 46 par qui nolet fieri desidiosus, amet (« que celui qui ne veut pas être oisif, aime »). Comme l’observe judicieusement A. Sharrock (2012, p. 152), « What Ovid has done here is to reclaim for the lover the central tenets of Roman manliness, while transferring the effeminate characteristics conventionally assigned to the lover onto those who are not lovers ». Retour au texte

90 Voir A. Barchiesi (2004). Retour au texte

91 Militiae species amor est… (« L’amour est une espèce de campagne militaire ... », 2, 233) ; hoc quoque militia est (« c’est aussi une campagne militaire », 2, 674) ; arma dedi Danais in Amazonas ; arma supersunt/ quae tibi dem et turmae, Penthesilea, tuae (« j’ai donné des armes aux Danéens contre les Amazones ; il me reste à te donner des armes, à toi et à ton bataillon, Penthésilée », 3, 1-2). Retour au texte

92 Le verbe obdura renvoie à Catulle : At tu, Catulle, destinatus obdura (8, 19). Dans ce texte Catulle s’exhorte à être endurant mais dans une perspective différente de celle qui sera développée par les élégiaques : il s’agit de persister dans sa tentative de renuntiatio amoris. Ovide avait déjà repris le verbe obdura en le couplant aussi à perfer dans les Amours, 3, 11a, 7, dans un contexte identique à celui du carmen 8 de Catulle : une tentative de renuntiatio amoris. Dans l’Art d’aimer, le conseil d’endurance est donné comme le moyen d’arriver à ses fins et de vaincre la résistance de la puella, qui deviendra mitis (178). Retour au texte

93 On peut citer aussi cette comparaison développée au livre 1 de l’Art d’aimer, à propos des mots d’amour : Quid magis est saxo durum, quid mollius unda ?/ Dura tamen molli saxa cauantur aqua (« Qu’y a-t-il de plus dur qu’un rocher ? de plus mou que l’eau ? Cependant les durs rochers sont creusés par l’eau molle ? », 473-474). Retour au texte

94 Même si, en choisissant de chasser dans la nature sauvage au lieu de se marier, Atalante ne suit pas le modèle de comportement social prévu pour les filles de son âge, son cas n’est pas unique. Aussi ce qui ressort de cet usage de dura pour Atalante est que des qualités considérées traditionnellement comme masculines peuvent être aussi féminines, qu’elles se rencontrent donc chez les deux sexes, fût-ce exceptionnellement pour ce qui est des femmes. Retour au texte

95 Obsequium est utilisé dans l’élégie 1, 4 de Tibulle (un premier essai de théorisation du genre inventé par Gallus, voir J. Fabre-Serris, 2004) : … obsequio plurima uincet amor (« … c’est par la soumission que l’amour triomphera à plusieurs reprises », 40) et au vers 40 de l’élégie 1, 8 de Properce (une variation sur un propemptikon fameux, lui aussi, de Gallus, voir F. Cairns, 2006, p. 114) : sed potui blandi carminis obsequio (« mais j’ai pu (la fléchir) par la soumission : en lui offrant un poème caressant »). Vu le contexte gallien de ces deux poèmes, on peut supposer qu’il s’agit d’un terme présent dans les Amores. Retour au texte

96 Il n’y a rien de surprenant à ce que cette vision des rapports de sexe soit celle d’Ovide, qui n’a cessé d’élaborer des stratégies pour garder la main en amour. Retour au texte

97 L’idéal de l’homme « dur », développé par Virgile (qui, au livre 9 de l’Énéide, décrit l’éducation et le mode de vie des Latins comme une école d’endurance de la naissance à la vieillesse, 603-613), n’est pas celui d’Ovide, comme il l’indique à plusieurs reprises dans l’Art d’aimer ou les Remèdes à l’amour. Retour au texte

98 Je n’ai pas le temps de développer un autre aspect de ce texte : sa dimension philosophique. On a ici une réponse à l’usage que Virgile avait fait d’Empédocle dans l’Énéide 6 et 8. Je suis en train de reprendre la communication sur l’usage d’Empédocle par les élégiaques que j’avais présentée au colloque organisé par D. Nelis en 2011 à la Fondation Hardt sur Empedocles the Poet, dans le chapitre d’un livre que j’écris sur Gallus et la réception des Amores. Je laisse de côté ici, à propos de l’élégie 2, 15, la question de l’ironie ; à ce sujet voir, à propos d’un autre des textes du livre 2, l’élégie 7, M. Gale (1997). Sur le sens à donner à la juxtaposition de ce texte avec le suivant, voir P. A. Miller (2001, pp. 130-131). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Jacqueline Fabre-Serris, « Genre et Gender : usages et enjeux de l’emploi de durus chez les élégiaques », Eugesta [En ligne], 3 | 2013, mis en ligne le 01 janvier 2013, consulté le 19 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/eugesta/989

Auteur

Jacqueline Fabre-Serris

Université Charles-de-Gaulle – Lille 3
jacqueline.fabre-serris@univ-lille3.fr

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